samedi 25 août 2007

A PROPOS DES MECONTENTS


QUELQUE CHOSE A PROPOS DES MECONTENTS
ET DE LA SOCIETE

Maurice MONDENGO, Jr


Cette réflexion pour plus d’engagement social de l’Eglise par celles et ceux qui proclament, nuit et jour, l’évangile du salut est une prise de position face au problème de mécontents de notre société, qui ne font (ou mieux qu’on fait) que multiplier sans cesse leur nombre sans se rendre compte du danger à venir et capable de mettre notre société à feu et à sang.

Deux volets font l’essentiel de notre réflexion. La première porte sur les mécontents et cela pour nous situer à peu près sur l’historicité de la problématique des mécontents telle que nous la conceptualisons ici. L’Eglise et le cri des mécontents de notre société : pour quel discours Kérygmatique et pour quel engagement ? Car, vivant au milieu du village et pesant de par son influence sur la périphérie, l’Eglise ne vit que dans et pour la société. C’est là le sens que nous donnons à ce dernier volet qui précédera notre (modeste) conclusion.

Jean Ladrière (un grand philosophe de notre époque, Professeur Emérite de l’Université Catholique de Louvain) dans son article « temps et histoire » nous dit ceci :
« Aristote a élaboré un concept de temps qui est appuyé sur une analyse du mouvement, donc sur un phénomène physique. La philosophie contemporaine, dans sa version phénoménologique, a élaboré un concept de temporalité, qui est appuyé sur une analyse du temps vécu. La physique contemporaine de sont côté nous fait voir que le temps de la nature comporte déjà un caractère historique. Il y a lieu de s’interroger sur la relation entre l’histoire de la nature et l’histoire ».[1]

Par l’histoire de la nature, continue-t-elle l’exposé du physicien et philosophe allemand Karl Friedrich Von Weizsäcker sur « Die Geschichte der natur », nous renseigne que nous devons sous entendre ici la structure du temps de la nature. C’est vraiment de l’irréversibilité du temps qu’il est question ici et ceci est hautement significatif. Car, c’est de l’irruption dans le cours du temps de formes organisées.[2]

Le développement de l’argumentation semble plutôt suggérer que l’on cerne aussi, à la fois, la quiddité de l’histoire humaine. Pour ce concept, appuyons-nous sur les analyses de Martin Heidegger dans Sein und Zeit telles que commentées par Paul Ricoeur dans son travail sur temps et récit intitulé le temps raconté.[3] A en croire Heidegger, Ladrière trouve que « l’idée directive de la démarche heideggérienne est que ce qui constitue l’histoire ne doit pas être recherché dans une analyse de la science historique mais dans la structure de l’existant humain. Ce qui fait que l’existant humain se vit dans une histoire, ce qui fait son caractère historique, son historicité, c’est que Heidegger appelle son « historialité ».
L’histoire s’enracine dans la temporalité, mais elle y ajoute un élément nouveau ».[4]

La lecture que nous faisons ici nous montre que pour Heidegger l’historialité est appuyée sur la temporalité et que celle- ci à son tour est l’unité articulée de l’a-venir, de l’avoir-été et du présenter qui sont ainsi donnés à penser ensemble.[5]
En un sens, on peut dire que la temporalité humaine ne peut se comprendre que dans la logique de l’influence de l’avoir-été sur le présent et celui-ci sur l’a-venir de l’existant humain. La vie de l’existant humain tourne, en tout temps, tout autour de la trilogie « Schisksal », « Geschick », « Geschichte » d’après les réflexions de Heidegger. Cette trilogie est rendue en français par Paul Ricoeur respectivement par « destin », « destinée » et « histoire ». Le destin consistant en ceci que « c’est de moi-même que je me transmets et que je me reçois comme héritage de potentialités ».[6]

Heidegger traduit l’idée de Schisksal comme « c’est ainsi que nous désignons l’historialité originaire de l’être-là (l’existant humain), qui réside dans la résolution authentique et dans lequel l’être-là se transmet pour la mort, selon une possibilité héritée mais également choisie ».[7]

Mais la notion de Geschick, « destinée » soulève la question de comment passer de l’historialité à une historialité « commune » ? Et pour mieux traduire l’idée, on fait introduire le sens et la portée de la notion de « mitsein », « d’être avec » qui est l’historialité rendue comme une « co-historialité » selon la pensée chère à Heidegger.[8]

Ladrière trouve que toute cette analyse de l’historialité culmine dans le concept de « Wiederholung », « répétition »[9] (de faits) dans le parcours de vie de l’existant humain où pour notre problématique telle que conceptualisée autour des mécontents dans notre société n’est pas exclue. Car, ce problème s’accompagne du temps, du temps vécu et du temps à venir étant lié à la nature de l’existant humain ou mieux de son historialité, et n’échappant pas à la pesanteur de ce que Heidegger appelle « Wiederholung ». Et si nous parlons de manière convergente à l’Ecclésiaste comparée, quand il écrit pour l’homme et pour la société ou mieux quand il écrit pour l’homme dans la société : « Ce qui a été, c’est ce qui sera et ce qui s’est fait, C’est ce qui se fera. Car, il n’y a rien de nouveau sous le soleil » (Ec. 1, 9). Nous sommes tentés de converger à la pesanteur de « Wiederholung ». Car, tout se répète. Les mécontents de notre société, que dire, sont-ils là autour de nous pour vivre leur « Schisksal » parce qu’il l’on hérité et choisi comme leur « Geschick », compagnon de vie dans le cycle vital de « Wiederholung » ? Nous disons non. Car, l’Eglise de Jésus de Nazareth est là. Et l’Esprit du Seigneur est sur elle pour les libérer et parler en leur nom pour réclamer leur humanité. Mais que fait l’Eglise du Christ dans sa mission et son évangélisation dans le monde par rapport aux mécontents ? Est-elle aux côtés des mécontents ou à côté comme pour ne pas dire de l’autre côté ? C’est à cette question que nous voulons réfléchir par rapport à notre société et par rapport à la mission de l’Eglise pour repenser ce qu’en principe devra être le discours kérygmatique de l’Eglise en ces temps où les libertés de forts ne sont liées ni à la responsabilité, ni la justice équitable moins encore à l’amour au partage pour le bonheur de tous.

2. L’Eglise et le cri des mécontents

Si la raison d’être ou mieux la place du discours sur l’engagement social et politique de l’Eglise n’est plus à contester. Car l’Eglise comme communauté des femmes et des hommes appelés à jouer le rôle de sel de la terre et lumière du monde a une voix à faire entendre. Même s’il s’avère que d’aucuns parmi ses membres se gêneraient et hésiteraient encore de se lancer dans une vie politique active, l’Eglise, tout le monde le sait, ne vit que dans et pour la société. Et c’est dans cette société qu’elle est appelée à apporter son message du salut libérateur.

Par la société, comme le définit Muluma Munanga, nous attendons « un groupe de personnes dont l’ensemble organisé des activités suffit à assurer à chacune d’entre elles la satisfaction de ses besoins matériels et psychologiques et qui se considèrent comme formant une unité aux limités biens définies ».[10]

Cette définition éloquente nous intéresse. Car elle nous donne une piste de base, à partir de laquelle nous ajouterons, à la lumière des enseignements de la pensée sociale chrétienne les éléments qui caractérisent la société à nos jours. Nous citons, avec Mushila Nyamankank les institutions incontournables d’une société à savoir : la famille, la politique, l’économie, l’idéologie.[11]

La société moderne dans son organisation et dans la sève de ses institutions sociales ne fonctionne pas sans créer des mécontents. Et, si le lieu de l’excellence entre Dieu et l’homme est la société, et si la société est faite pour l’homme, le souci de bousculer les structures lourdes de la société par un aggiornamento par rapport à l’Evangile (social) du salut libérateur visant à faire des hommes vrais, justes et plus humains capables de faire régner l’esprit de vérité, de justice, de paix, de liberté, doit être la mission de l’Eglise et le credo de son discours kérygmatique.

Les mécontents, loin d’être des boudeurs ou des simples insatisfaits de notre société, sont ceux qui ont des sentiments pénibles dans leur cœur, frustrés dans leurs espérances et attentes, privés de leurs droits dans la société. Ce sont des exclus, des apatriés, des marginaux, des victimes de guerre, des femmes violées, les enfants de personnes qui remplissent nos rues et villes, les diabolisés politiques, les prisonniers de l’injustice, les fonctionnaires humiliés de l’Etat, les retraités sans pension de notre administration…

Faisons quelques entrées paradigmatiques nous fixant sur le problème des mécontents de notre société, et cela par rapport aux concepts sociaux de nos institutions tenant compte des correspondants kérygmatiques liés à chacune des institutions.

La famille comme institution a pour notion de base l’amour. Mais qu’est-ce qu’on y voit aujourd’hui ? Certainement beaucoup de problèmes créant des mécontents : les enfants de personne dans nos rues (les chégués), les divorcés, les rejetés, les bandits, les séparations des membres de famille, les parents fonctionnaires sans moyens d’envoyer leurs enfants à l’école.

La politique comme institution a pour notion de base le pouvoir, l’autorité. Ces notions la caractérisent. Mais, il se fait que des fois la politique vise par défaut son pouvoir par la violence, la dictature et la tyrannie et crée la gestion de la société de conflits sanglants. Les mécontents du genre de leaders de rébellion et tyrannie au lieu de protéger la société.

L’économie comme institution a pour notion de base l’argent et la production pour le bien-être de la société. Alors qu’elle ne fait que multiplier les détournements, les insatisfaits, les exploités, des opérateurs de retour de fonds, la mafia, car la justice distributive est foulée au sol sous les pieds d’une minorité des « hommes forts ».

L’idéologie comme institution voit sa base dans la notion de la vérité. Mais souvent elle crée les menteurs, les démagogues, les dissidents des idéologies, les leaders des sectes en quête permanent de survivance en dépit du poids qu’ils font porter les victimes de leurs dérèglements moraux.

Dans toutes les institutions, on compte des mécontents. Ils sont dans notre compréhension (semblables à) ceux qui constituent la majorité de nos populations mais souvent sociologiquement minoritaires. Car, ne sachant pas contrôler la politique, l’économie, l’idéologie, même la famille dans notre société, (Cf. G. Theissen), ils font l’objet d’exclusion.

Ainsi, les mécontents peuvent donc constituer une bombe à retardement dans notre société qui, multiplie au jour le jour leur nombre en progression géométrique. Ces derniers développant en eux le complexe de martyr, pourront mettre un jour notre société à feu et à sang, s’ils ne l’ont pas encore fait. Car l’histoire nous enseigne que chaque société humaine, à un moment donné de son histoire, arrive à un point de saturation maximale : un point de non retour. Et là, elle prend l’option difficile de tout arrêter et de tout changer. Cela passe par un vent qui d’on ne sait où, et qui malheureusement est souvent destructeur aussi de vies humaines. Au point de non retour, ce vent souffle coûte que coûte pour provoquer l’irruption d’un changement de l’ordre dans la société. Mais rarement ce changement arrive sans le sang. Pour ce faire, l’Eglise doit s’engager pour une société responsable qui libère et intègre tout le monde sans attendre que ce vent souffle pour enfin organiser des cultes de suffrage où couleraient des oraisons.

Dans le souci d’œuvrer dans ce sens commun, la Déclaration du Conseil Œcuménique des Eglises faite à Amsterdam, à la sortie de la deuxième guerre mondiale que nous rend MUSHILA Nyamankank dans son article sur « Eglise et développement » nous donne le profil de cette société tel que conçu par le COE (1948), en ces termes :
"L’homme est créé par Dieu et appelé à être libre, responsable vis-à-vis de Dieu et de son prochain. Toutes tendances dans l’Etat et dans la société qui lui arracheraient la possibilité d’agir de manière responsable sont une négation de la volonté de Dieu concernant l’homme et son œuvre de salut comme étant la liberté de l’homme, celle qui est responsable pour la justice et l’ordre public ; elle est celle où tous ceux qui ont une parcelle de pouvoir politique ou économique sont responsables vis-à-vis de Dieu et des hommes, d’elle dépend le bien être de ceux-ci. Pour qu’une société reste responsable dans les condition modernes, il est requis que les hommes aient la liberté de contrôler leurs gouvernements, les critiquer et les changer, que le pouvoir soit rendu responsable par le moyen de la foi et de la tradition et si possible que la communauté nationale y participe. Il est nécessaire que la justice économique et les moyens égaux d’épanouissement soient garantis pour tous les membres de la société".[12]

Cette abondante citation est pour nous le concret traduisible de (ce que doit être et demeurer) l’engagement social de L’Eglise dans son agir pour libérer nos mécontents et donner un autre destin et une nouvelle destinée à leurs vies par l’évangile du salut libérateur.

Il est de même important de faire voir que ne pas aller par cette voie, c’est à vrai dire vouloir prendre celle de multiplication géométrique de mécontents qui, un jour, pourra nous conduire à une révolution populaire capable de remplir nos rivières et lacs du sang. Car si la société et l’Eglise ne les libèrent pas, chacune dans ce qu’elle doit faire, ils se libéreront eux-mêmes un jour. N’est ce pas que MUSHILA Nyamankank a raison quand, énonçant une hypothèse de travail pouvant aider à interpréter le passage effectué entre le Moyen Age et les Temps moderne affirme que toute crise lance un défi, et tout défi provoque des attitudes et les attitudes déclenchent une pensée.[13] Ainsi, la pensée qui puisse se déclencher ici est celle d’une élaboration de modèle de société calqué sur le profil proposé par le COE depuis 1948. Pourquoi ? Car, pour beaucoup, nous n’avons pas, depuis plus de 50 ans, avancé d’un pouce en ce qui concerne la réalisation du projet « société responsable » où entre autres problèmes, le phénomène de mécontents sera éradiqué ou simplement réduit et les mécontents de nos sociétés seront libérés. Libérer les mécontents de nos sociétés doit être notre credo, et agir quotidiennement de manière à provoquer l’irruption d’une société réinventée par l’homme et la femme transformés par l’évangile pour que l’intégration de tous et de chacun soit prise en considération par un pouvoir responsable qui gouverne et se laisse contrôler par ses gouvernés doit être notre défi à relever.

Nous croyons que l’Eglise peut se tromper dans le travail qu’elle fait parmi les humains. C’est possible. Nous croyons qu’elle peut aussi se compromettre en se taisant là où elle devrait parler et guider, là où la gestion de la société était aveugle car animée par des femmes et des hommes faillibles. C’est vrai. Mais que l’évangile en - soi qu’elle apporte dans les cœurs des femmes et des hommes dans nos sociétés se trompe ou se compromette cela n’est pas possible. Car c’est lui qui est toujours un ferment de libération de peuples et aussi un ferment de création d’un nouvel ordre de choses dans les sociétés traversant de périodes très noires dans leur vie sociale, politique, économique car basée sur les inégalités menaçant la paix, l’assurance du pain quotidien et le progrès.

Notes
[1] J. LADRIERE, « Temps et Histoire », in Actes des V ièmes journées philosophiques de Bamanya, Mbandaka, 1989, p.15
[2] Ibid.
[3] Ibid., p. 19
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] MULUMA Munanga ., « Traits caractéristiques de la société traditionnelle africaine », in RCTP n°12, UPC,1998, pp.26-35.
[11] Cf. MUSHILA Nyamankank., Cours de Pensée sociale chrétienne, dispensé en 1ère Licence Théologie, UPC, 2000 – 2001, (Inédit).
[12] MUSHILA Nyamankank, « Eglise et développement » in RZTP n° 2, 1988, pp. 35-48.
[13] Cf. La pensée sociale de MUSHILA telle qu’exposée dans son article sur les Traits caractéristiques de la société moderne et postmoderne où démontre que la critique postmoderne met à nu la vérité selon laquelle la société issue du projet des penseurs modernes est une société, de break-up, une société atomisée et sans aucune orientation. Mais hélas! c’est elle que l’on nous propose comme modèle aux peuples et nations… A en croire l’auteur il faut une relecture des sources de la foi et de l’inspiration de L’Eglise qui sont inépuisables pour y découvrir de nouvelles orientations capables de mettre en place de nouveaux projets d’hommes et de société de demain. Lire l’article dans RCTP n°12, 1998, pp 36-51.

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